Lorsqu’il le croisa, le
paquebot réduisit fortement sa
vitesse, perdant ainsi beaucoup de son écume.
Ballotté par une forte
houle, le remorqueur effleura
fièrement son flanc, sans même le regarder.
Lorsqu’il fut suffisamment loin, à l’écart
des vagues provoquées par l’hélice, il fit un demi-tour sur lui-même, le
moteur mugissant. Puis, comme un
mustang au galop, il se mit alors en quête de rattraper l’immense masse noire,
à pleine vitesse, en dégageant une énorme gerbe
blanche. Lorsqu’il fut en
position d’accostage, il ralentit
brusquement son allure et se mit à corner à tue-tête comme un enfant en colère.
Au milieu d’une mer devenue presque plate, un long silence s’installa.
Enfin, du fond de la cale, émergea un énorme marin qui, tel un capitaine
Haddock, vociféra une kyrielle d’injures :
– La purée de… ! Qu’est-ce que
tu attends ? dit-il, en levant la tête vers le bastingage.
Lorsqu’il reçut l’échelle qu’il réclamait, son délire verbal s’atténua, occupé à la plaquer contre la coque du
navire. Déséquilibré, l’homme-pantin suivait
le mouvement de la vague tandis que derrière lui, le pilote
attendait.
Le jeune homme se tenait immobile, vêtu d’une veste croisée et d’une
casquette enluminée de galons dorés. Se sentant observé par les passagers
situés sur le pont supérieur, il
gravit chaque barreau, pas à pas, lentement, en prenant son temps, fier comme
un trapéziste parti à l’assaut de son firmament.
Lorsqu’il arriva sur le pont, il
fut accueilli par un tonnerre
d’applaudissements et ovationné comme un sauveur. Enfin, d’un pas solennel, il se dirigea
vers la cabine du commandant,
laissant les passagers
soulagés de voir leur destin entre de bonnes
mains, prêts à s’agglutiner le long du bastingage.
Maintenant dirigé par un pilote
aguerri, le navire reprit faiblement son allure, précédé du remorqueur qui le
conduisait lentement vers son quai.
À mesure que la terre
se rapprochait, la foule grossissait sur le pont principal jusqu’à former une
marée humaine docile et silencieuse. Mais, rien ne pouvait arrêter la marche de
leur histoire, car bientôt la masse sombre du bateau effleura les îles du
Frioul, puis les tourelles du château d’If dans l’ombre du comte de Monte
Cristo.
La ville approchait,
blottie dans son écrin blanc, coincée entre un ciel très clair et une mer
bleutée.
Sur le pont, une marée
humaine regardait son Nouveau Monde, tandis qu’une escadrille de mouettes
rieuses tournoyait au-dessus des cheminées. Dans un ultime sursaut, de leurs
voix étranglées s’éleva l’hymne que leurs aïeuls avaient naguère chanté. Ainsi,
interrompant le silence pesant, un murmure s’éleva des entrailles du navire, se
transforma en chuchotement puis en cri de douleur et d’agonie qui s’amplifiait
et résonnait à l’approche des quais. C’était le baroud d’honneur, le chant de
tout un peuple qui croyait encore à son identité perdue :
« C’est nous les
Africains qui revenons de loin… ».
Étrange destin pour ces Européens de vieille souche, parcourant le chemin inverse de leurs ancêtres. Voilà comment ont débarqué un million d’Africains — le cœur gros et serré… la valise à la main.
Diocèse de la dispersion* : C’est en 1965 que la statue de la Vierge de Santa Cruz a été « rapatriée » à Nimes, au mas de la Mingue. L’Evêque du diocèse d’Oranie devint celui du diocèse de la dispersion.
Avr 11 2020
Écho Voile N°3/2020 : Et vous savez quoi ?
Lorsqu’il le croisa, le paquebot réduisit fortement sa vitesse, perdant ainsi beaucoup de son écume.
Ballotté par une forte houle, le remorqueur effleura fièrement son flanc, sans même le regarder. Lorsqu’il fut suffisamment loin, à l’écart des vagues provoquées par l’hélice, il fit un demi-tour sur lui-même, le moteur mugissant. Puis, comme un mustang au galop, il se mit alors en quête de rattraper l’immense masse noire, à pleine vitesse, en dégageant une énorme gerbe blanche. Lorsqu’il fut en position d’accostage, il ralentit brusquement son allure et se mit à corner à tue-tête comme un enfant en colère.
Au milieu d’une mer devenue presque plate, un long silence s’installa. Enfin, du fond de la cale, émergea un énorme marin qui, tel un capitaine Haddock, vociféra une kyrielle d’injures :
– La purée de… ! Qu’est-ce que tu attends ? dit-il, en levant la tête vers le bastingage.
Lorsqu’il reçut l’échelle qu’il réclamait, son délire verbal s’atténua, occupé à la plaquer contre la coque du navire. Déséquilibré, l’homme-pantin suivait le mouvement de la vague tandis que derrière lui, le pilote attendait.
Le jeune homme se tenait immobile, vêtu d’une veste croisée et d’une casquette enluminée de galons dorés. Se sentant observé par les passagers situés sur le pont supérieur, il gravit chaque barreau, pas à pas, lentement, en prenant son temps, fier comme un trapéziste parti à l’assaut de son firmament.
Lorsqu’il arriva sur le pont, il fut accueilli par un tonnerre d’applaudissements et ovationné comme un sauveur. Enfin, d’un pas solennel, il se dirigea vers la cabine du commandant, laissant les passagers soulagés de voir leur destin entre de bonnes mains, prêts à s’agglutiner le long du bastingage.
Maintenant dirigé par un pilote aguerri, le navire reprit faiblement son allure, précédé du remorqueur qui le conduisait lentement vers son quai.
À mesure que la terre se rapprochait, la foule grossissait sur le pont principal jusqu’à former une marée humaine docile et silencieuse. Mais, rien ne pouvait arrêter la marche de leur histoire, car bientôt la masse sombre du bateau effleura les îles du Frioul, puis les tourelles du château d’If dans l’ombre du comte de Monte Cristo.
La ville approchait, blottie dans son écrin blanc, coincée entre un ciel très clair et une mer bleutée.
Sur le pont, une marée humaine regardait son Nouveau Monde, tandis qu’une escadrille de mouettes rieuses tournoyait au-dessus des cheminées. Dans un ultime sursaut, de leurs voix étranglées s’éleva l’hymne que leurs aïeuls avaient naguère chanté. Ainsi, interrompant le silence pesant, un murmure s’éleva des entrailles du navire, se transforma en chuchotement puis en cri de douleur et d’agonie qui s’amplifiait et résonnait à l’approche des quais. C’était le baroud d’honneur, le chant de tout un peuple qui croyait encore à son identité perdue :
« C’est nous les Africains qui revenons de loin… ».
Étrange destin pour ces Européens de vieille souche, parcourant le chemin inverse de leurs ancêtres. Voilà comment ont débarqué un million d’Africains — le cœur gros et serré… la valise à la main.
Diocèse de la dispersion* : C’est en 1965 que la statue de la Vierge de Santa Cruz a été « rapatriée » à Nimes, au mas de la Mingue. L’Evêque du diocèse d’Oranie devint celui du diocèse de la dispersion.
By jean-pierre Montagnon • Historique Infos